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Entre ciel et terre

Par Jean-Philippe Rauzet /Exposition Flora Tristan 2016

Muriel, j’ai réussi à m’extraire de mon atelier pour dénicher tes horizons de nulle part, comme on va cueillir une étoile dans l’océan gris d’un monde englué de blessures, d’opacité et d’ennui. J’ai vu la limpidité d’une vision pure, illuminée de mille pierres précieuses, de scories, de sédiments retenant les germes d’un passé entre ciel et terre.

De grandes toiles ouvrant sur de larges espaces silencieux, où le  plein, la densité ponctuent le vide. Les titres à eux seuls («Passage», «îles des rêves», «Espace d’un instant», « émergence » ou «les Grands Fonds»…) racontent ce voyage secret, ouvert sur l’infini, le rêve céleste, les profondeurs de l’océan, ou bien les destinations lointaines d’un Orient des Mille et Une Nuit. Sur mon tapis volant, j’ai ondulé dans les tempêtes, les séismes, mais j’ai retrouvé la sérénité dans les yeux d’une aurore transparente. Des traces d’habitat – concentration de matières, de textures, vestiges de combats et de résistance – subsistent et flottent dans cet univers en expansion ou dépression.  La peinture demeure un mystère, un miracle, un désert aride qui fleurit parfois, un océan qui efface et engloutit tout, comme si rien n’avait existé. De cette lutte – tensions, tumulte gestuel, essuyé, répété, contrarié, cumuls de strates – survient le calme, l’aisance, la plénitude retrouvée. Muriel réussit, dans une unité parfaite, à donner forme à l’informe, à orchestrer l’équilibre dans les fulgurances de la matière et du vertige. Elle n’a pas peur du vide, des prises de risque, quitte à tout occulter, pour attraper l’horizon, celui de la grâce et des dieux.

Muriel Gauthier, exposition Horizons Perdus

publié dans Aquisud par Rafaël Lucas, le 17 novembre 2016

Du 3 novembre au 4 décembre 2016, la Bibliothèque  Flora Tristan du Quartier Belcier de Bordeaux abrite la très singulière exposition Horizons Perdus de la peintre Muriel Gauthier, membre du Collectif Les Indépendants Plasticiens de Bordeaux. Même si le nom peut évoquer le titre du célèbre roman Horizons perdus (1933) de l’Américain James Hilton, il s’agit d’un autre univers, celui d’un voyage imaginaire et émotionnel, les formes et les couleurs évoluent dans des espaces frontaliers, entre l’évocation et la suggestion, entre la fluctuation aquatique et les rêveries aériennes, entre l’éphémère et l’intemporel. Les tableaux s’appellent Espace d’un instant, L’île des rêves, Émergence, Les Grands Fonds, Voile du Levant…

L’ivre de couleurs

Ne cherchez pas de paysages réalistes, pas de soleils méditerranéens avec leur gabegie de lumière. Ici la luminosité est indécise car elle accompagne les imprécisions d’un monde mouvant parfois dilué dans un bain laiteux comme dans le tableau Voile du Levant ou dans un fond chromatique de bleu aux nuances changeantes.  Dans  le  tableau Karulka il y a comme une succession de lacs bleu turquoise se suivant comme dans une cité interlacustre d’un temps très ancien. Le bleu de la suggestion  et du voyage intérieur s’impose dans les tableaux Histoires secrètes, Espace d’un instant, L’île des rêves et Typhon bleu. Parfois la couleur se fait environnement liquide, créant  des îlots, comme dans le bain de rouge du tableau Émergence.

Les grands fonds 1
Les grands fonds 1

Paysages imaginaires et voyages intérieurs

Dans ces paysages imaginaires, l’indistinction prédomine sans se confondre avec la dilution : indistinction entre milieu aquatique et terres littorales aux allures de Bassin d’Arcachon. Des formes filiformes, provoquées par les coulures, font penser à des algues, par leurs ondulations. On croit voir des bouts de paysage médocain avec des cabanes immergées dans une lumière assombrie. Muriel Gauthier parle aussi de la verticalité présente dans  certains de ses tableaux, évoquant une certaine esthétique de peinture chinoise contemporaine. Univers liquides, paysages en suspension, comme  dans certains films du Japonais Hayao Miyazaki, mondes en apesanteur, imprégnés de sérénité et de syncrétisme des éléments eau, terre, air ouvrent des espaces qui favorisent la méditation et la spiritualité, par leur énergie en devenir. « J’aime imaginer, mettre en scène des espaces-paysages à la frontière de l’abstraction et de la figuration» dit Muriel Gauthier

L’horizon mouvant des objets

Mon regard est aussi attiré par une installation d’objets disposés dans une boîte transparente. Il y a des pierres plates et transparentes, d’un bleu turquoise, rappelant des mondes perses ou ottomans. Elles semblent sorties d’une profondeur marine insoupçonnée et gardent dans leurs reflets les secrets  de  récits  immémoriaux. D’autres cailloux, plus discrets, polis par le roulement incessant des vagues et par le ponçage du vent, partagent avec les pierres turquoise le même attrait du  secret, du  mystère  et de la survie. Des morceaux de bois aux formes étonnantes témoignent d’une capacité de renouvellement des émotions. Puis voilà un objet résultant d’une composition insolite : une petite montgolfière emprisonnée dans une bouteille, comme  si c’était l’œuvre d’un génie malfaisant. Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? La question est inévitable. C’est la première installation de Muriel Gauthier, qui dialogue subtilement avec les tableaux de l’exposition, car par leur survivance ils témoignent aussi d’horizons perdus.